Cinéma rime avec contrat
Par Audrey DECIMA de la Promotion 2014/2015
C’est l’un des privilèges du juriste en propriété intellectuelle de pouvoir allier travail et passion. La rédaction de contrats, la défense des intérêts d’artistes peuvent devenir un accomplissement à la fois personnel et professionnel. Passionnée de cinéma, Audrey DECIMA, de la Promotion 2014/2015, a eu l’opportunité d’effectuer son stage dans une société de production et de distribution d’œuvres cinématographiques et elle a pu, à cette occasion, passer en coulisses afin d’observer l’envers du décor…
Lorsque l’on regarde un film, on est loin d’imaginer les montages juridiques et financiers qui se cachent derrière. Une œuvre cinématographique, parce qu’elle met en jeu les droits de plusieurs auteurs sur une même création, est d’abord soumise au régime particulier des droits de propriété intellectuelle. Elle nait de l’effort intellectuel du scénariste et peut faire l’objet d’une adaptation, de créations musicales, de dialogues… Elle prend forme par la mise en œuvre du scénario par le réalisateur, sous l’impulsion et la responsabilité d’un producteur. L’article L113-7 du Code de la Propriété Intellectuelle attribue ainsi une présomption de qualité d’auteurs à ces différents intervenants. Il inclut également l’auteur des dialogues et l’auteur de l’œuvre originale ayant servi de base à la réalisation lorsque, par exemple, l’œuvre est adaptée d’un roman.
Si le régime des droits d’auteurs est un régime dérogatoire, celui des droits cinématographiques est également atypique. D’une part, parce que l’œuvre cinématographique est une œuvre de collaboration. Cette qualification implique la coopération de tous les auteurs d’une même œuvre et la loi confère au producteur qui en prend l’initiative et la dirige la qualité de cessionnaire des droits d’auteur. Les auteurs sont donc réputés avoir cédé leurs droits patrimoniaux au producteur qui en assure l’exploitation. D’autre part, l’œuvre cinématographique est soumise à un dépôt obligatoire auprès du Centre National du Cinéma (CNC), les contrats qui y sont afférents et organisent notamment la cession des droits au producteur doivent être publiés au Registre du Cinéma et de l’Audiovisuel, dépendant du CNC. De plus, un régime fiscal bien particulier est organisé autour de la production cinématographique : TVA différente, crédit d’impôt, financement public…
Cependant, il faut encore quelques étapes pour voir Tom Cruise jouer les héros et Clint Eastwood le « bon » cowboy à l’écran. Le cinéma, dans sa production comme sa distribution, est régi par ce que l’on appelle les ensembles contractuels ou les chaines de contrats. Le développement d’une œuvre cinématographique démarre avec un contrat de cession de droits des scénariste, dialoguiste, auteur de l’adaptation, compositeur, réalisateur, auteur de roman ou de film antérieur mais se poursuit avec une multitude de conventions dépendant les unes des autres.
Une fois le film réalisé, le producteur va céder les droits qu’il tient des auteurs de cette collaboration à un distributeur. Cette étape est nécessaire pour assurer à la fois la reproduction du film sur un support (le Digital Cinema Package qui a remplacé la copie argentique de 35 mm) et sa représentation en salles de cinéma. Ces contrats de commercialisation s’apparentent à des contrats de licence de droits de propriété intellectuelle puisqu’ils en permettent la mise à disposition au profit d’un tiers en vue de son exploitation, généralement à titre exclusif et moyennant une redevance proportionnelle aux recettes. Ce contrat de distribution permet au distributeur d’être titulaire des droits cédés dans le contrat afin de les céder à son tour aux différents intervenants dans l’exploitation d’un film.
La chaine de contrats prend ici toute sa dimension. Dans la plupart des cas, le producteur confie au distributeur l’exploitation du film dans ses différents modes. Ce dernier démembrera alors chacun de ces droits pour les confier à son tour à d’autres personnes qui assureront les différents modes de représentation de l’œuvre cinématographique. Ainsi, le distributeur confiera aux exploitants de salles de cinéma la première représentation commerciale du film. Puis, il fera éditer le film sur un support physique (le DVD) par un intermédiaire spécialisé, en vue de sa vente au public. S’en suivra la numérisation de l’œuvre pour son exploitation sous la forme de vidéo à la demande. Enfin, la représentation télévisuelle de l’œuvre viendra clore cette « chronologie des médias ». Cette échelle temporelle est définie par l’Accord du 6 juillet 2009. Cet accord entre différents professionnels du cinéma et de l’audiovisuel répond à un objectif de cohérence économique globale à l’heure d’internet et règlemente l’exploitation d’œuvres cinématographiques par les services de télévision et de médias audiovisuels. La concertation des professionnels et des pouvoirs publics a abouti à l’établissement d’une échelle temporelle, appelée chronologie des médias, qui impose un rythme à la reproduction et la représentation des films en fonction du mode d’exploitation. Ainsi, une œuvre cinématographique sera d’abord représentée en salles et ne pourra être éditée en vidéo qu’au minimum 4 mois après la sortie en salles. De même, la vidéo à la demande payante à l’acte obéit au même délai de 4 mois à compter de la sortie. L’exploitation par les services de télévision payante puis gratuite constitue le dernier maillon et se décompose en fenêtres audiovisuelles, qui ne pourront être exploitées que 10 mois à partir de la sortie du film.
Les œuvres cinématographiques obéissent donc à un régime spécifique de la propriété littéraire et artistique. Parce qu’elles contribuent à l’expression culturelle française, elles reçoivent des subventions publiques et sont à ce titre règlementées. Leur exploitation fait appel à la fois au droit public, au droit des affaires et au droit de la propriété intellectuelle.
La complexité de cette branche et le système des ensembles contractuels en font un domaine passionnant. Les exigences artistiques, stratégiques et juridiques contribuent au caractère diversifié et transversal des métiers de l’audiovisuel. Les films, s’ils sont le fruit d’une imagination et d’un effort intellectuel, constituent également des instruments juridiquement encadrés au service d’une stratégie économique.
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