Impression d’organes, quels risques pour la propriété industrielle ?

Septembre 2015

Par Clément BLONDELLE, Promotion 2014/2015

 
L’impression 3D fascine de par le nombre d’applications actuelles et à venir. Cette technologie est annoncée comme une troisième révolution industrielle[i]. Initialement destinée au prototypage, l’impression 3D permet de reproduire et de fabriquer des objets avec un degré de précision encore jamais égalé. Les boîtes de vitesses de formule 1 ou encore les propulseurs de navettes spatiales sont actuellement produits par impression 3D. Cependant, cette technologie est en train d’émerger dans un autre domaine : les applications médicales.
En effet, cette technologie a déjà été utilisée pour réaliser des greffes de peau à des grands brûlés[ii] ou encore pour de la reconstruction faciale à partir de cellules souches prélevées sur le patient. Il est aujourd’hui possible, par exemple, de redonner la vue à des patients souffrant de cécité[iii]. Actuellement, afin de pallier aux carences en dons d’organes et pour limiter les risques de rejets de greffes, des équipes de chercheurs développent des systèmes pour imprimer directement des organes vitaux tels que des reins, des foies, voire des cœurs pouvant être imprimés en 3D à partir de cellules souches de l’organe que l’on souhaite reproduire en vue de greffer cette copie. Par ailleurs, les organes peuvent être reproduits à l’identique de l’organe original à l’aide de scanners 3D qui vont générer une copie virtuelle de ce dernier. En effet, il est important pour que la greffe soit optimale que l’organe transplanté présente une forme proche de l’organe initial et une composition de surface équivalente également.
Face à ce fort potentiel dans le domaine médical, des États investissent massivement dans le développement de cette technologie[iv]. Par ailleurs, il est possible que des groupes industriels se décident à investir dans le développement de cette technologie. Au regard du potentiel que peut présenter cette technologie et des investissements massifs qui sont actuellement réalisés et qui pourraient encore être faits, il est possible qu’un certain nombre de demandes de brevets soient déposées. Cependant, les rédacteurs de ces brevets devront faire très attention à la rédaction de ceux-ci pour ne pas tomber dans les exclusions à la brevetabilité et pour ne pas nuire à l’accès aux soins et à la liberté du corps médical d’exercer son art, par ailleurs, il faudra également s’intéresser au statut des organes imprimés et des plans servant à leur impression.
 

Les exclusions à la brevetabilité
Le Code de la propriété intellectuelle français (CPI) ainsi que la Convention sur le brevet européen (CBE), tout comme les autres législations au niveau international, comme la loi américaine, excluent de la brevetabilité les méthodes de traitement ainsi que les méthodes chirurgicales et le corps humain ou certains de ses composants, donc les organes, et cela peu importe le stade de développement de celui-ci. Concernant le CPI, on retrouve ces exclusions aux articles L.611-16 et L.611-18. Pour la CBE, ces exclusions sont présentes à l’article 53 et dans les règlements d’application 22 et 23. Ces exclusions sont compréhensibles dans le sens où le médecin ou le chirurgien pourrait être amené à devoir essayer de contourner certains brevets afin de pouvoir prodiguer les meilleurs soins à leurs patients. Cela irait donc à l’encontre de la santé publique.
Toutefois, une demande de brevet[v] à été déposée aux Etats-Unis pour un procédé d’impression de peau vascularisée qui sera par la suite greffée à un patient qui souffre de brulures par exemple. L’office américain des brevets (USPTO) a déjà émis une première notification officielle, en août 2015, dans laquelle il demande juste la restriction du champ de revendication et il constate uniquement un défaut d’unité d’invention. Cependant, il ne se prononce pas sur la brevetabilité de l’invention telle que revendiquée, et notamment au niveau de son caractère qui peut sembler entrer dans les exclusions énoncées ci-dessus. Cette demande de brevet comporte trois revendications indépendantes : la première définit le produit en tant que tel, c'est-à-dire le substrat qui va être implanté au patient (revendication 1) ; la seconde définit la méthode d’impression des cellules (revendication 9) ; et la troisième vise à protéger le produit de traitement (revendication 14). La revendication 9 semble donc rentrer dans le champ d’exclusion de la brevetabilité. Cependant, l’USPTO n’a émis aucune objection à son encontre. On peut donc se demander si cette position ne va pas à l’encontre des règles actuelles du droit. La réponse semble être positive, ainsi il faut se demander comment les exclusions à la brevetabilité vont évoluer pour appréhender cette nouvelle technique de fabrication d’organes.
Il est possible de comprendre la position de l’USPTO, car aux Etats-Unis, une licence obligatoire et gratuite peut être demandée par l’Etat lorsqu’il considère que l’invention peut lui être utile. Ainsi, le monopole qu’un tel brevet pourrait attribuer ne rentrerait pas dans les exclusions directement car l’Etat pourrait obtenir une licence obligatoire sur cette technologie. Cependant, ce n’est pas le cas dans d’autres pays et notamment dans les différents pays membres de l’OEB. Ainsi, on peut se demander si un tel système de licences obligatoires ne serait pas utile à mettre en place pour que de tels brevets ne viennent pas entraver le système médical. Il semble qu’une telle évolution soit nécessaire, car selon la rédaction des revendications, il est tout à fait possible que de tels brevets soient délivrés aussi bien par l’Institut National de la Propriété Industrielle français (INPI) que par l’OEB.
Ainsi, il est envisageable de voir des brevets déposés pour protéger ces nouveaux « objets ». Cependant, les organes ne pourront pas être protégés par le jeu de revendications. Il est probable de voir des demandes de brevet de procédé. De tels brevets pourraient être délivrés. Toutefois, un objet obtenu directement par le procédé est couvert par le brevet de procédé. Il faudrait donc voir comment adapter la législation afin que les organes imprimés ne puissent pas bénéficier de protection par le brevet afin de ne pas nuire à l’accès aux soins. L’impression 3D des organes ne semble donc, en théorie, pas poser de véritable problème juridique, même si il ne relevait que de la science fiction, il y a encore 15 ans la possibilité de fabriquer des organes prêts à être greffés et permettant de réduire considérablement les risques de rejet. Toutefois, qu’en est-il du statut juridique des organes imprimés via cette technologie et des plans permettant leur impression.
 

Le statut des organes imprimés et des plans permettant leur impression
 
Un organe, même s’il est reproduit par une imprimante 3D, doit être considéré comme un élément du corps humain et doit donc en suivre le régime juridique[vi]. Ainsi, les organes représentés par impression 3D ne sauraient faire l’objet d’un droit patrimonial. Cependant, les textes de loi actuels n’envisagent pas encore la possibilité d’imprimer des organes en 3D. Par ailleurs, comme il a été précisé plus haut, les produits obtenus directement par un procédé breveté sont également couverts par ledit brevet. Les brevets de procédé pourraient donc aller à l’encontre de ce principe fondamental car les organes pourraient de cette manière faire l’objet d’un droit patrimonial qu’est le brevet. Toutefois, ces produits ne sauraient être couverts par un droit exclusif si l’article 16-5 du Code Civil trouve à s’appliquer[vii].
On peut assez facilement supposer, au regard des difficultés relatives à la biocompatibilité que les organes imprimés ne seront probablement pas placés dans le commerce, mais uniquement utilisés pour la greffe dont le patient a besoin. Toutefois, pour pouvoir imprimer quelque produit que ce soit avec une imprimante 3D, il est nécessaire de disposer des plans, généralement sous la forme d’un fichier CAO, de l’objet à imprimer. On peut donc se demander quel pourrait être le statut juridique de ces plans, qui dans le cas d’organes ne sont appréhendés ni par le code de la santé publique ni par le code civil.
En effet, les fichiers permettant l’impression ne peuvent pas être considérés de facto comme un produit du corps humain. Ils peuvent donc être vendus ou cédés à des tiers, car ces fichiers peuvent être appréhendés au sens du droit comme des objets, mêmes s’ils sont immatériels, ils peuvent donc être commercialisés. Il est possible d’imaginer que de tels fichiers ne soient pas vendus dans un but thérapeutique mais uniquement dans un but esthétique, en tout cas pour des parties visibles du corps, ou permettant d’améliorer les performances de l’individu, comme dans le cas d’un cœur ou d’un poumon par exemple.
Cependant, les risques sont assez limités, car les fichiers en tant que tels ne posent pas de risque. Par ailleurs, leur utilisation et notamment les greffes semblent s’apparenter à du clonage. Or, le clonage est considéré comme contraire à la dignité humaine et peut donc être condamné. Par ailleurs, avec cette nouvelle possibilité d’impression, il est tout à fait envisageable de voir ressurgir des demandes de brevets portant sur des procédés de clonage. Or, ces procédés sont exclus de la brevetabilité par l’article L.611-17 CPI car ils sont considérés comme contraires à la dignité humaine[viii]. Cette exception est également retrouvée au niveau des brevets européens[ix] et dans les autres pays du monde. Toutefois, cette possibilité est plus qu’envisageable, car en se procurant des plans des différents organes, une imprimante 3D capable de les reproduire, ainsi que l’encre biologique nécessaire, ce type de reproduction et donc de clonage semble réalisable. Cependant il est très peu probable de voir des demandes de brevets portant sur de procédés de clonage via l’utilisation d’imprimantes 3D car ces demandes seraient exclues d’office. En effet, la Règle 28 considère le clonage comme contraire à la dignité humaine ainsi qu’aux bonnes mœurs, ainsi ces demandes seraient directement rejetées. Un raisonnement similaire serait également appliqué en France.
D’une manière générale, il semble que l’impression des organes via une imprimante 3D ne pose pas de problème au niveau de la propriété intellectuelle. Cependant, le code de la santé publique devrait probablement devoir s’adapter pour comprendre les fichiers CAO permettant l’impression des organes.
 
[i] The Economist, A third industrial Revolution, 21 Avril 2012, http://www.economist.com/node/21552901
[iii] http://citizenpost.fr/2014/01/limpression-3D-va-t-elle-redonner-la -vue-aux-aveugles
[iv] Les Etats-Unis ont investi plus de 30 millions de dollars en 2014 pour la création d’un centre dédié à l’impression 3D : the Additive Manufacturing Innovation Institute ; la Grande Bretagne à fait de même en investissant 15 millions d’euros pour la création d’un centre identique
[v] Demande US 2015/0140058 A1, déposée le 21 mai 2015, Skin printing and auto-grafting
[vi] Article 16-1 du Code Civil
[vii] « Les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles »
[viii]Article 11 de la déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme du 11 novembre 1997
[ix] Règle d’application 28 de la CBE

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