Le projet de Directive sur la protection du secret d’affaire, état des lieux et perspectives

Mars 2014




Par Charlotte BAUDRY et Yannick DARRAS




La protection actuelle du secret d’affaire en France, un régime largement perfectible
 
Le patrimoine des entreprises tend de plus en plus à se composer d’informations immatérielles, qui sont par nature faciles à dérober. Cependant l’importance économique accrue de ces informations rend évidente la nécessité d’un régime juridique de protection contre leur acquisition illégale. Or force est de constater que la protection du secret de fabrique telle qu’elle existe aujourd’hui en droit français est relativement faible.
Deux actions sont actuellement envisageables pour la victime du « vol » d’un secret d’affaire :
  • Une action civile : l’action en concurrence déloyale sur le fondement de l’article 1382 du code civil ;
  • Une action pénale : l’article L.621-1 du Code de la propriété intellectuelle (renvoyant à l’article L. 1227-1 du code du travail) prévoit un délit de violation des secrets de fabrique, condamnant tout directeur ou salarié d’une entreprise qui révèle ou tente de révéler un secret de fabrique à deux ans d’emprisonnement et une amende de 30 000 euros.
 
Toutefois ces deux actions ont un champ d’application très limité : la première nécessite l’existence d’une relation concurrentielle, sauf dans le cas du parasitisme, la seconde n’a vocation à s’appliquer qu’à l’encontre des directeurs et salariés d’une entreprise et ne porte que sur les secrets de fabrication industrielle, à l’exclusion donc a priori de toutes les autres informations. Sont donc laissées de côté de nombreuses hypothèses de violation du secret d’affaire, pour lesquelles la jurisprudence a dû élaborer une réponse adéquate.
Il semble légitime de s’interroger sur l’opportunité de retenir la qualification de vol pur et simple, mais le caractère immatériel des données ainsi « pillées » semble gêner le juge français de sorte que le vol n’a été retenu que dans quelques rares décisions souvent critiquées. Ainsi la Cour de Cassation par exemple, dans un arrêt du 4 mars 2008, avait estimé qu’il pouvait y avoir vol d'information indépendamment d'un éventuel vol de son support, mais cette décision n’a été que peu suivie par la suite.
Le plus souvent, la violation du secret d’affaires a tendance à être sanctionnée par le juge sur le fondement du délit d’abus de confiance de l’article 314-1 du Code pénal, qui prévoit que «L'abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé. ». A été retenu l’abus de confiance à l’encontre d’un stagiaire exportant des informations confidentielles de l’entreprise avec son ordinateur personnel (affaire VALEO, tribunal correctionnel de Versailles, 18 décembre 2007), ou dans l’hypothèse d’un employé tentant de revendre des informations stratégiques à la concurrence (affaire MICHELIN, tribunal correctionnel de Clermont Ferrand, 21 juin 2010). Mais là encore se posait la question de savoir si une telle qualification peut être retenue concernant le secret d’affaire, bien immatériel, lorsque le Code pénal semble viser les choses corporelles. La jurisprudence a fini par admettre cette qualification, qui demeure toutefois un pis-aller à défaut de pouvoir sanctionner la violation du secret d’affaires par une disposition légale plus adéquate.
 
Ces tergiversations jurisprudentielles s’expliquent certainement par l’absence de définition précise de la notion de secret d’affaires. Le Code pénal ou le Code du travail proposent des régimes de sanction permettant plus ou moins de dégager des critères de définition du secret d’affaire, mais aucun texte ne définit précisément la notion. Les précisions sur le secret d’affaire découlent principalement de l’article 39.2 du traité ADPIC qui, sans définir  là encore clairement la notion, pose des conditions pour qu’une telle qualification soit retenue. Ainsi les renseignements susceptibles de bénéficier de la protection accordée au secret de fabrique doivent avoir été tenus secrets, ce par le moyen de « dispositions raisonnables » de la part de la personne qui en a le contrôle, et bénéficier d’une valeur commerciale justement parce qu’ils sont secrets. Les règlements CEE n°4087/88 du 30 novembre 1988 et CE n°2790/1999 du 22 décembre 1999 ajoutent que ces informations doivent être clairement identifiées.
Cette carence de la qualification juridique de la notion de secret d’affaires laisse place à des interprétations erronées, comme le montre notamment l’affaire MICHELIN susmentionnée : le juge a en effet rejeté la qualification de délit de violation du secret de fabrique, au motif que le procédé de fabrication litigieux n’avait pas fait l’objet d’un dépôt de brevet, conditionnant ainsi à tort la protection du secret de fabrique à la brevetabilité d’un procédé.
Il s’est donc avéré nécessaire d’encadrer le régime de cette source de richesse que le secret de fabrique représente pour les entreprises. C’est conscient de cette lacune juridique que le Parlement européen a proposé en novembre 2013 un projet de Directive sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non-divulguées.
 
La protection du secret d’affaire telle qu’envisagée par le projet de Directive
 
L’objectif affiché de ce texte est de protéger le secret d’affaires, pour encourager l’innovation en faisant en sorte que les créateurs puissent être récompensés de leurs efforts et lutter efficacement contre l’appropriation illicite dans tout le marché intérieur.  L’atteinte de cet objectif devrait passer par l’instauration d’une définition commune de la notion de secret d’affaires et de la notion d’acquisition illicite, ainsi que par la mise en place de voies de recours et garanties offertes aux titulaires de telles informations.
 
Si l’on se penche sur la lettre du texte, il en ressort que doit s’entendre comme secret d’affaire :
« Toutes informations secrètes, à savoir les informations qui : 
  1. ne sont généralement pas connues, ou aisément accessibles, de personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre d’informations en question ;
  2. ont une valeur commerciale ; et 
  3. ont fait l’objet, de la part de leurs détenteurs légitimes (personnes qui en ont licitement le contrôle), de dispositions destinées à les garder secrètes, ces dispositions devant être “raisonnables”, compte tenu des circonstances. »
 
Le projet de Directive précise également que s’analyse en une acquisition illicite  « l’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicite du secret, c’est-à-dire sans le consentement du détenteur du secret ». Le texte prévoit ensuite les hypothèses que recouvre cette définition : accès non autorisé, vol, acte de corruption, abus de confiance, non-respect d’un accord de confidentialité ou d’une obligation contractuelle, mais aussi mise sur le marché de produits bénéficiant d’un secret obtenu illicitement sont autant d’actes caractérisant l’infraction, dont la liste est complétée par la notion de « tout autre comportement contraire aux usages commerciaux honnêtes ». La Commission semble ainsi décidée à ne laisser passer aucun type d’acte potentiellement constitutif d’une atteinte aux droits du détenteur du secret d’affaire.
 
Des voies de recours et des garanties sont offertes aux  entreprises ou individus détenteurs d’un secret d’affaire.
Ainsi dans le cadre d’une action judiciaire, le juge saisi pourra prononcer des mesures à titre provisoire et conservatoire à l’encontre du contrevenant présumé (cessation provisoire de l’utilisation du secret d’affaires, interdiction de mise sur le marché des produits en infraction, saisie des produits présumés en infraction,…), mais également toute mesure visant à la protection du secret au cours de la procédure : toute personne prenant connaissance du secret au cours de l’action, à quelque titre que ce soit, aura interdiction d’en divulguer le contenu. Afin d’éviter qu’un tel ébruitement puisse toutefois avoir lieu, le juge pourra, à la demande motivée d’une partie, prendre des mesures aux fins de protéger la confidentialité du secret (restriction de l’accès aux documents ainsi qu’aux audiences, mise à disposition de versions non-confidentielles du document litigieux,…). Le délai pour intenter une telle action est déterminé par les Etats, un an au moins et deux ans au plus, à compter de la date à laquelle le requérant a pris connaissance du dernier fait donnant lieu à l’action ou aurait pu en prendre connaissance.
 
Concernant les sanctions à l’encontre d’une entreprise s’étant rendue coupable de l’acquisition illicite de secrets d’affaires, le projet de réforme prévoit que le juge puisse prononcer des mesures d’interdiction provisoires ou définitives (interdiction d’utiliser le secret obtenu, interdiction de mise sur le marché des produits litigieux,..), mais également des mesures de saisie ou de destruction des produits en infraction, ainsi que des mesures de publicité des décisions rendues.
La société victime de l’acquisition illicite de son secret d’affaires pourra en outre obtenir réparation de son préjudice, par le versement de dommages et intérêts notamment calculés sur la base du manque à gagner subi, des bénéfices injustement perçus par le fautif ainsi que du préjudice moral causé.
 
Le projet de Directive, réel progrès pour le secret d’affaire ou poudre aux yeux ?
 
La France avait déjà tenté d’amorcer un régime réellement protecteur pour le secret d’affaire, avec une proposition de loi relative à la protection des informations économiques présentée par le député Bernard CARAYON en novembre 2011. Le texte posait une définition plus englobante de la notion de secret d’affaires, parlant des données économiques, commerciales, industrielles, financières, stratégiques ou scientifiques des entreprises. L’innovation majeure consistait en la création d’un délit spécifique, le délit de violation du secret d’affaire, qui permettait de sanctionner la divulgation d’informations de nature commerciale, industrielle, financière, scientifique ou technique, compromettant gravement les intérêts d’une entreprise, de 3 ans d’emprisonnement et 375.000€ d’amende. Cependant le texte n’a pas abouti et il peut sembler regrettable que le projet de réforme européen, bien que présentant certaines similitudes, ne s’en soit pas plus inspiré dans son jusqu’au boutisme. On se retrouve en effet à la lecture de ce projet de Directive avec une protection, certes accrue, mais toujours en demi-teinte du secret d’affaire : le  vol du secret d’affaire semble être un délit « dont on ne doit pas prononcer le nom ».
 

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