La caricature, « un droit à l’insolence » ?

Janvier 2015


Par Marie ROUSSEL, Promotion 2014/2015



 























C’est tout d’abord dans un esprit de commémoration profonde, que nous aborderons le thème de la caricature dans ce présent article. L’attentat de Charlie Hebdo nous a tous ébranlés et l’on ne peut faire l’économie de cette question primordiale : la caricature a-t-elle des limites ? Il convient de rappeler que « la caricature, la parodie et le pastiche, qui constituaient les moyens d’expression privilégiés des dessinateurs assassinés sont protégés par une exception au droit d’auteur, instaurée au titre de l’intérêt général par le législateur pour permettre le débat d’idées, la libre critique et la création artistique ».

Il convient de revenir sur cette exception au droit d’auteur qui a, je suis persuadée, réveillé en chacun de nous la fierté d’avoir dans notre pays un principe fondamental qui porte le nom de liberté d’expression.
 































 
 











Caricature de Stéphane PLOUVIEZ, Mai 2009.


En droit d’auteur, il existe un principe général selon lequel l’utilisation d’une œuvre sans accord de son auteur est illicite. En effet, toute utilisation, diffusion, commercialisation, modification, exploitation d'une œuvre de l'esprit suppose l'autorisation exprès et préalable de son auteur. L’ancien article 41 de la loi du 11 mars 1957, devenu l’article L. 122-5 4du code de la propriété intellectuelle, aménage certaines exceptions au droit d’auteur. Reprenant la lettre de cet article il ressort que «  lorsque l'œuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire : la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ». 

Mais qu’est-ce qu’une caricature et quelles sont les conditions pour qu’une œuvre puisse bénéficier de cette exception au droit d’auteur ?
 
 
Caricature de Stéphane PLOUVIEZ, Mai 2009.
 

Il est d’usage de définir la caricature comme étant « l'œuvre moqueuse qui exacerbe les traits les moins harmonieux d'un sujet pour aboutir à sa déformation »[1]. On relève de cette définition l’intention satirique que poursuit la caricature, mais seul, ce critère est insuffisant. En effet, il faut tout d’abord une divulgation de l’œuvre mais également que celle-ci respecte les lois du genre. Cela signifie que c’est la Jurisprudence qui va fixer les critères qui permettront d’appliquer ou non l’exception. Ces lois imposent pour la caricature, tout comme pour la parodie et le pastiche qui sont également des exceptions au droit d’auteur, le respect de trois conditions essentielles. Ainsi, il est nécessaire de veiller à ce qu’en aucun cas il n’y ait de confusion avec les œuvres originales, qu’il existe une réelle intention humoristique, et enfin, qui ne comporte aucune intention de nuire aux œuvres originales. En effet, l’intention de nuire et la mauvaise foi rendent la caricature abusive.

Il convient de rappeler que l'hebdomadaire satirique "Charlie Hebdo" avait été relaxé en 2007, puis en appel en 2008, pour une première série de caricatures jugées offensantes par les associations musulmanes. Le juge a alors fait application des critères précédemment cités et il ressort que « ces caricatures, qui visent clairement une fraction et non l'ensemble de la communauté musulmane, ne constituent pas l'injure, attaque personnelle et directe dirigée contre un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse et ne dépassent pas la limite admissible de la liberté d'expression »[2].

Certes la caricature est le versant le plus représentatif de la liberté d’expression, principe absolu et à valeur constitutionnel en France. Mais la caricature s’adjoint également au droit à l’image, « toute
personne a sur son image et l’utilisation qui en est faite un droit exclusif, et peut s’opposer à ses diffusions sauf son autorisation »[3]. Il existe deux exceptions à ce principe qui sont, d’une part, la présomption d’autorisation résultant de certaines circonstances, et d’autre part, les “nécessités de l’information”. Ces mêmes exceptions profitent à la caricature, comme le rappelle l’arrêt en date du 31 janvier 1991 rendu par la Cour d’appel de Versailles « la caricature constitue une tolérance traditionnelle admise à l’égard de ceux dont la profession ou l’activité permet de présumer de leur part une autorisation passive »[4].

Mais alors quelles seraient les conséquences juridiques si l’œuvre, au regard de ces trois critères, n’était pas retenue comme étant une exception au droit d’auteur ? A ce titre, nous pouvons évoquer l’affaire du dessinateur Pascal Somon condamné à 5 mois de prison pour contrefaçon de dessins de Tintin, alors que celui-ci affirmait qu'il s'inspirait de Tintin et lui rendait hommage mais qu'on ne pouvait confondre son œuvre et celle d'Hergé. Qu’il s’agisse d’une parodie ou d’une caricature, si les critères relatifs à ces exceptions ne sont pas réunis, on se retrouvera alors sur le terrain de la contrefaçon voire même du parasitisme. La Cour d’appel de Paris a d’ailleurs affirmé dans son arrêt en date du 23 mars 1978 qu’ « une adaptation de l'œuvre, même originale (c'est à dire se démarquant de l'œuvre originelle pour porter l'empreinte de la personnalité de l'adaptateur), demeure une contrefaçon, si celle-ci a été réalisée sans l'accord de l'auteur de l'œuvre première »[5].

 
 

Caricature de Stéphane PLOUVIEZ, Mai 2009.


Pour conclure, il me semble inconcevable qu’un art satirique, pendant humoristique de la liberté d’expression, puisse être assimilé à des tragédies à l’image de celle que nous avons vécu ce mercredi 7 janvier 2015 à Charlie Hebdo. Je tiens à souligner l’aspect juridique du slogan « Je suis Charlie », qui été repris des millions de fois. On doit ce logo à Joachim Roncin, journaliste au magazine « Stylist », qui affirme que  « le message et l’image resteront libres de droit […] si certains veulent faire de l’argent sur une tragédie, c’est leur problème. Ma propriété intellectuelle, c’est ma conscience ». Ce souhait a été respecté en France puisqu’une cinquantaine de demandes ont été déposées, mais l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) a pris la décision de ne pas enregistrer ces demandes de marques car elles ne répondent pas au critère de caractère distinctif. En revanche et selon les dernières informations, il semble qu’un habitant belge ait privilégié les enjeux économiques que regorge ce slogan qui a connu une médiatisation instantanée. En effet, l'Office Benelux de la Propriété intellectuelle (BOIP) a confirmé sur son site Internet,  qu’un habitant de Steenokkerzeel a déposé la marque "Je suis Charlie" pour le Benelux. La procédure est encore sous enquête pour une durée d’un à deux mois.


 


 


 
[1] « La sanction de l'utilisation illicite d’une œuvre de l’esprit sans l’accord de son auteur », par Maître Anthony Bem
 
[2] Cour d’Appel de Paris, 11ème chambre, mars 2008.
 
[3]  Cass. Civ. 1ère, 27 février 2007, n° 06-10393
 
[4]  Cour d’appel de Versailles, 31 janvier 1991.
 
[5]  Cour d’appel de Paris, 23 mars 1978.




 

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